Au cœur de la place des Vosges, berceau des puissants – de Madame de Sévigné à Victor Hugo, du duc de Sully à DSK ou Xavier Niel –, un scandale immobilier couve : des HLM au milieu du Marais chic. Il y a 50 ans, des fortunes diverses cohabitaient encore ici, avant que les prix au m² ne s’envolent dans l’indécence. Aujourd’hui, ces logements sociaux cristallisent les bras de fer parisiens : mixité ou muséification ?
Au n°8 trône l’hôtel de Fourcy, bâti en 1608 par la Ville pour l’enseignement, déserté depuis. Le lycée professionnel Théophile Gautier y a eu un temps des locaux, tout comme le Musée Victor Hugo. Jacques Baudrier, adjoint PCF au logement, y voit 17 logements sociaux de tailles variées : « On va avoir des éboueurs, des infirmières, des auxiliaires de puériculture. Pas d’hôtel 5 étoiles ni de résidence de milliardaire. » Coût de l’opération : 7,6 millions d’euros (dont 2,3 millions de subvention municipale), pour réhabiliter les façades, l’isolation et le chauffage urbain. Bailleur : CDC Habitat. Premiers locataires prévus en 2029.
L’opposition bondit quand il s’agit de transformer cet immeuble où, entre 1828 et 1834, a vécu Théophile Gautier et où le prix du mètre carré s’élève à 35 000 €. Aurélien Véron (Changer Paris) tonne : « Une opération vitrine, un coup de com’ qui flambe des millions au lieu de rénover le parc social délabré ! À 50 mètres, deux fois plus d’appartements pour le même prix. » Élisabeth Stibbe (LR) dénonce : « Façades délabrées, insalubrité ailleurs, et ça ici, entouré de galeries d’art et de restos gastronomiques ? Déconnecté ! » Catherine Ibled (Pour Paris) : « 300 000 en attente, un choix lourd de conséquences. Plutôt une vocation culturelle. »
Les arches de la Place des Vosges, Le Marais Mood
Jacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris en charge du logement et de la transition écologique du bâti, rétorque : vendre créerait plus d’appartements vacants – près de 50 % le sont dans le quartier, contre un tiers en privé à l’échelle de la ville. Jean-Philippe Gillet (PC) assume : « Réparer une injustice : le centre n’est pas réservé aux riches. » Ariel Weil, maire de Paris Centre (PS), cite les tout nouveaux HLM de la rue Pavée : 30 HLM dans un hôtel historique, ainsi qu’à la caserne des Minimes (70 HLM il y a 5 ans).
Cependant, certains locataires des HLM situés Village Saint-Paul ou de la Caserne des Minimes, par exemple, tempèrent : « C’est vrai que le cadre est beau, mais c’est bruyant. » Au Village Saint-Paul, la lumière des lampadaires de la cour posait problème : les locataires se plaignent de leur éclairage trop fort. Quant à la mixité, certains doutent des bienfaits de la mixité : « Pas sûr qu’il y en ait vraiment. »
La Ville a investi près d’un milliard en acquisitions sociales (2023-2024). La droite crie à la dette (9 milliards). Laurent Sorel (Liste Décidons Paris 20) ironise : « Pour vous, mieux vaut des logements vides que des prolos place des Vosges. » Ce projet ? Un laboratoire du Paris selon Anne Hidalgo et ses alliés : contre la gentrification, pour un centre vivant.
N°8 de la Place des Vosges, Le Marais Mood
Pour mémoire, Paris compte environ 272 000 logements sociaux, soit 25,5 % des résidences principales en 2023. Ils se concentrent massivement dans les arrondissements périphériques : le 19ᵉ en tête avec 44,5 % (37 555 unités), suivi du 13ᵉ (43 %, 38 616) et du 20ᵉ (40,6 %, 38 518).
Au centre, les taux dégringolent : 7ᵉ à 2,3 % (652 logements), 6ᵉ à 4,4 % (949), 2ᵉ à 6,4 % (845). Dans le Marais, le 3ᵉ arrondissement est à 8,8 % quand le 4ᵉ affiche 15 % (2 451 unités), le 11ᵉ 14,9 % (12 707), tandis que le 12ᵉ culmine à 26,7 % (19 559).*
Cette disparité reflète une politique de mixité inégale : +126 000 HLM financés depuis 2001, mais 277 000 demandeurs en attente, avec un haut taux de vacance dans le centre chic.
Texte : Katia Barillot
18.12.25
